Dans son roman "Le Chevalier à la charrette", Chrétien de Troyes raconte comment Lancelot, pour rejoindre la reine Guenièvre enlevée par Méléagant doit traverser un fleuve aux eaux noires et profondes en empruntant le redoutable Pont de l'Épée.
IlsLancelot et les autres chevaliers arrivèrent au Pont de l'Epée. À l’entrée de ce pont, qui était si terrible,Lancelot et ses compagnons descendirent de leur cheval et regardèrent l’eau traîtressedangereuse, noire, bruyante, rapide et chargée, si laide et épouvantableeffrayante, qui fait peur que l’on aurait dit le fleuve du diable ; elle était si périlleuse et profonde que toute créature de ce monde, si elle y était tombée, aurait été aussi perdue que dans la mer salée. Et le pont qui la traversait était bien différent de tous les autres ponts [...] : c’était une épée aiguisée et étincelante qui formait ce pont jeté au-dessus de l’eau froide.[...]
Mais ce qui achevait de démoraliser les deux compagnons qui étaient venus avec le chevalier, c’était l’apparition de deux lions, ou deux léopards, à la tête du pont, de l’autre côté de l’eau, attachés à une borne en pierre. […]
Les deux compagnons, inquiets, demandent à Lancelot de renoncer à la traversée. Mais il persiste.
[...] "Plutôt mourir que faire demi-tour!" Ils ne savent plus que dire mais la pitié les fait pleurer et soupirer tous deux très durement.
Quant à Lancelot, il fait de son mieux pour se préparer à traverser le gouffre. Pour cela, il prend d’étranges dispositions, car il dégarnit ses pieds et ses mains de leur armure : il n’arrivera pas indemneentier, sans blessures ni en bon état de l’autre côté ! Mais ainsi il se tiendra bien sur l’épée plus tranchante qu’une faux, de ses mains nues, et débarrassé de ce qui aurait pu gêner ses pieds [...]. Au prix de cette terrible douleur qu’il doit subir, et d’une grande peinesouffrance, il commence la traversée ; il se blesse aux mains, aux genoux, aux pieds, mais il trouve soulagement et guérison en Amour qui le conduit Lancelot est secrètement amoureux de la reine Guenièvre, le mène et lui fait trouver douce cette souffrance. S’aidant de ses mains, de ses pieds et de ses genoux, il fait tant et si bien qu’il arrive sur l’autre rive.
Alors lui revient le souvenir il se souvient dedes deux lions qu’il pensait avoir vus quand il était encore de l’autre côté ; il cherche du regard, mais il n’y avait même pas un lézard, ni aucune créature susceptible de lui faire du mal. [...] Il a été victime d’un enchantement, car il n’y a là âme qui vive.[...] Il étancheéponge sur tout son corps le sang de ses blessures avec sa chemise.
D'après Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la charrette , roman traduit de l'ancien français par Daniel Poirion