Les Miserables, extrait "Fantine"

Fantine, une ouvrière de Mr Madeleine, a confié sa fille, Cosette, aux Thénardier, un couple d’aubergistes qu’elle croyait honnêtes.

Les Thénardier […] lui écrivaient à chaque instant des lettres dont le contenu la désolait et dont le le port le coût de l'envoi la ruinait. Un jour ils lui écrivirent que sa petite Cosette était toute nue par le froid qu'il faisait, qu'elle avait besoin d'une jupe de laine, et qu'il fallait au moins que la mère envoyât dix francs pour cela. Elle reçut la lettre, et la froissa dans ses mains tout le jour. Le soir elle entra chez un barbier qui habitait le coin de la rue, et défit son peigne. Ses admirables cheveux blonds lui tombèrent jusqu'aux reins.

« Les beaux cheveux, s'écria le barbier.

– Combien m'en donneriez-vous? dit-elle.

– Dix francs.

– Coupez-les. »

Elle acheta une jupe de tricot et l'envoya aux Thénardier. Cette jupe fit les Thénardier furieux. C'était de l'argent qu'ils voulaient. […]

Les Thénardier réclament à Fantine de l’argent pour soigner Cosette soi-disant malade. Fantine se fait arracher deux dents en échange de deux pièces d’or.

Le lendemain matin, […] Marguerite […] regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux. Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans.

« Jésus! fit Marguerite, qu'est-ce que vous avez, Fantine?

– Je n'ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente. »

En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.

« Ah, Jésus Dieu! dit Marguerite. Mais c'est une fortune! où avez-vous eu ces louis d'or?

– Je les ai eus, » répondit Fantine.

En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C'était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillaittachait, maculait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.

Les deux dents étaient arrachées.

Elle envoya les quarante francs à Montfermeil.

Les Misérables (première partie, livre cinquième, chapitre 10)