Je t'aime

Paul Eluard (1895-1952)

Poète moderne français, Paul Eluard fait partie du mouvement surréaliste. Au cours de sa vie, Eluard multiplie les muses : la première, Gala le quitte pour Dali (le peintre), la seconde, Nusch, meurt prématurément. Trois ans après la mort de Nusch (avec qui il avait vécu 17 ans), Eluard fait la connaissance de sa dernière muse, Dominique, de 19 ans sa cadette. Eluard renaît alors à la vie et à la poésie, tel Phénix, cet oiseau légendaire qui renaissait littéralement de ses cendres. Il adresse le poème "Je t'aime" à la jeune femme qu'il épousera la même année.

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues

Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu

Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud

Pour la neige qui fond pour les premières fleurs

Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas

Je t’aime pour aimer

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas


Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu

Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte

Entre autrefois et aujourd’hui

Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille

Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir

Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie

Comme on oublie


Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne

Pour la santé

Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion

Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas

Tu crois être le doute et tu n’es que raison

Tu es le grand soleil qui me monte à la tête

Quand je suis sûr de moi.


Paul Eluard, Le Phénix 1950

Francis PICABIA, Idylle, 1925-1927