A Cloris

Théophile de Viau (1590-1626)

Poète le plus lu au 17e siècle, le protestant Théophile de Viau mène une vie très libre et une brillante carrière d'auteur à la cour du roi. A cause de ses moeurs, de son manque de foi et de ses "vers indignes d'un chrétien" il doit s'exiler en 1619. C'est à cette période qu'il compose ses "Stances à Cloris". Converti au catholicisme après avoir dû fuir une nouvelle fois, il publie "Le Parnasse des poètes satyriques" recueil de poèmes qui lui vaut une arrestation. Echappant de peu à une condamnation à mort, mais éprouvé par deux années d'emprisonnement, il meurt à l'âge de 36 ans...


S’il est vrai, Cloris, que tu m’aimes,

Mais j’entends que tu m’aimes bien,

Je ne crois point que les Rois mêmes

Aient un heurbonheur comme le mien :

Que la mort serait importunegênante

De venir changer ma fortunemon sort

A la félicité des Dieuxpour le bonheur des Dieux!

Tout ce qu’on dit de l’ambroisiebreuvage des Dieux dans la Grèce antique

Ne touche point ma fantaisiemon vif goût

Au prix des grâcescharmes de tes yeux.


Sur mon âme il m’est impossible

De passer un jour sans te voir,

Qu’avec un tourment plus sensible

Qu’un damnépersonne bannie du paradis n’en saurait avoir.

Le sort qui menaça ma vie,

Quand les cruautés de l’envie

Me firent éloigner du Roi,

M’exposant à tes yeux en proiecomme une proie,

Me donna beaucoup plus de joie

Qu’il ne m’avait donné d'effroide peur.


Théophile de Viau Stances à Cloris, 1621